Discours de Mathieu Bélisle lors du Dîner estival des Oui-Québec, Trois-Rivières, samedi le 26 août 2023

Je veux d’abord remercier Camille Goyette-Gingras et toute l’équipe des OUI-Québec pour cette belle invitation. C’est un honneur d’être parmi vous, et un honneur plus grand encore de parler juste avant Louise Harel, pour qui j’ai beaucoup de respect et d’admiration.

J’ai écrit mon discours, parce qu’un écrivain ne peut pas penser clairement s’il n’écrit pas. Je n’ai pas l’habitude de faire campagne et d’improviser, ça viendra peut-être un jour, qui sait.

Je voudrais d’abord vous parler d’espoir et de confiance, parce que c’est ce qui m’anime, essentiellement : j’ai espoir, j’ai confiance dans la suite du monde. Par moments, ces années-ci, on dirait que tout conspire à nous décourager. Le projet de souveraineté est dans un creux, et plusieurs ont eu envie ces dernières années de jeter la serviette. Ils sont passés à la CAQ par calcul, ou dépit, et le cœur n’y est pas. Et c’est drôle, mais c’est un peu la même chose qui se produit avec le climat : nous sommes là aussi dans un creux, on dirait qu’il est déjà trop tard. Et au risque de paraître hérétique, je vous dirai que « non », dans un cas comme dans l’autre, il n’est pas trop tard, que la vie n’a pas dit son dernier mot, que le Québec n’a pas dit son dernier mot, que nous ne nous sommes pas rendus jusqu’ici pour abandonner, qu’il faut tout mettre en œuvre, dans un cas comme l’autre, faire preuve d’imagination et de courage, afin de renverser la vapeur.

Je veux vous lire ce qu’écrivait la philosophe Simone Weil il y a bientôt un siècle, à une époque où l’avenir était particulièrement sombre. C’était en 1934, alors que le fascisme montait, de même que les risques de guerre. Je la cite :

« La génération actuelle végète, dans le monde entier, avec la conscience qu’Elle n’a aucun avenir, qu’il n’y a point de place pour elle dans notre univers. Au reste ce mal, s’il est plus aigu pour les jeunes, est commun à toute l’humanité aujourd’hui. Nous vivons une époque privée d’avenir. L’attente de ce qui viendra n’Est plus espérance, mais angoisse. »

En un sens, Weil avait raison : ce qui s’annonçait, je parle de la Deuxième Guerre, de l’Holocauste et de la bombe atomique, n’était rien de moins qu’une Apocalypse. Sauf que l’humanité a survécu, non sans peine, c’est vrai. Mais le monde a continué, et la possibilité même d’un avenir est réapparue. Et je suis persuadé que c’est la même chose aujourd’hui : oui, l’attente peut être source d’angoisse, mais elle doit aussi être source d’espérance.

Je veux choisir un autre exemple, tiré cette fois de l’histoire du Québec. En 1838, après la révolte avortée des Patriotes, et alors que Londres dépêche un certain Lord Durham qui recommandera essentiellement de mettre en place des politiques d’assimilation, François-Xavier Garneau, le grand historien, écrit ce poème, dont je veux citer quelques vers :

 

« Non, pour nous plus d’espoir, notre étoile s’efface,

Et nous disparaissons du monde inaperçus.

Je vois le temps venir, et de sa voix de glace

Dire il était ; mais il n’est plus.
[…]

 

Peuple, pas un seul nom n’a surgi, de ta cendre ;

Pas un, pour conserver tes souvenirs, tes chants

Ni même pour nous apprendre

S’il existait depuis des siècles ou des ans.

Non ! Tout dort avec lui, langue, exploits, nom, histoire,

Ses sages, ses héros, ses bardes, sa mémoire,

Tout est enseveli dans ces riches vallons

Où l’on voit se courber, se dresser les moissons.

Rien n’atteste au passant même son existence ;

S’il fut, l’oubli le sait et garde le silence. »

 

C’était en 1838, je le rappelle, et les choses n’allaient pas s’améliorer tout de suite, l’Acte d’union est là pour le prouver. Mais est-ce qu’on ne peut pas dire que depuis ce temps, quelques noms, au Québec, ont « surgi de la cendre »? Est-ce qu’on ne peut pas dire que son étoile, non seulement ne s’est pas effacée, mais continue de briller, et brille même plus que jamais? Parfois, c’est vrai, il faut s’inquiéter, et même désespérer, pour que le meilleur surgisse, et il faut aussi se rappeler que c’est au cœur des ténèbres qu’on voit le mieux les étoiles, que même dans la nuit la plus noire il reste encore un peu de lumière.

 

Pour ma part, j’ai choisi d’avoir confiance – c’est un devoir, quelque chose que je dois à mes deux filles; et je voudrais rappeler que la confiance engendre la confiance, que l’espoir engendre l’espoir, qu’une partie de notre engagement repose sur notre capacité à croire dans l’existence de ce que nous ne voyons pas encore, et qui peut bel et bien se produire.

 

Et puis, même quand la situation est désespérée, la vie est là, et les humains qui nous inspirent le plus sont ceux qui ne s’arrêtent pas, qui continuent de faire des projets, de croire dans la possibilité du lendemain, qui demeurent vivants jusqu’à la mort. C’est cette vitalité que vous incarnez, et que je voudrais que nous puissions retrouver, collectivement. Nous ne sommes pas nés pour un petit pain, ni pour une vie « ordinaire », nous pouvons espérer le meilleur, nous attendre au mieux plutôt qu’au pire.

 

*

 

Je veux dire quelques mots au sujet de l’immigration, à propos de tous ces Québécois et Québécoises, immigrants ou fils et filles d’immigrants, dont certains sont aujourd’hui parmi nous. Je veux dire d’abord qu’il faut cesser de voir l’immigration comme un problème ou une menace. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas discuter des seuils, se soucier de l’intégration et de la francisation, penser l’accueil et l’aménagement de cette réalité, prévoir pour mieux faire, bien sûr. Mais je veux souligner que l’immigration est un fait, une donnée incontournable et dont il faut tenir compte, un fait qui doit modifier notre approche, notre pensée. Nous ne pouvons plus faire comme si nous étions « entre nous », entre de souche, si vous préférez, comme l’a fait le député de Trois-Rivières, Jean Boulet, l’année dernière en disant des faussetés au sujet de ces immigrants qui « n’apprennent pas notre langue et ne vivent pas comme nous ». Et quand bien même les seuils d’immigrants seraient réduits à zéro, ou presque, comme certains chroniqueurs le réclament sans relâche, les immigrants, les fils et filles d’immigrants seraient déjà là; ils sont déjà là, ils changent l’image et la réalité du Québec, ils sont une partie de nous.

 

Je viens du Centre du Québec, j’ai passé mon enfance à Drummondville et mon adolescence à Shawinigan, tout près d’ici. À Drummondville, dans les années 1980, je connaissais un seul immigrant, il s’appelait Eddie et venait du Laos; et quand je suis arrivé à Shawinigan, dans toute mon école secondaire, au début des années 1990, il y avait un seul immigrant, qui était… le cousin d’Eddie! Il s’appelait Khomsourigna. C’est vous dire à quel point, surtout en région, l’immigration était une chose rare. Aujourd’hui, quand je retourne à Shawinigan, je vois dans le quartier de mes parents des gens venus d’Afrique, du Maghreb, d’Amérique latine, de Chine, du Vietnam. Ces gens parlent français, travaillent, s’intègrent. Et je parle seulement de Shawinigan – à Trois-Rivières, à Québec, à Rimouski, à Gatineau, c’est la même réalité. Le Québec change, et il faut non seulement accepter ce changement, mais l’épouser, l’intégrer dans notre pensée et notre vision. L’immigration n’est pas un problème, je le répète : c’est un défi, mais plus encore une chance, qu’il ne faut pas rater. Parce que l’identité, individuelle et collective, pour demeurer vivante, doit être en mouvement, intégrer les nouvelles influences plutôt que de les écarter.  

 

J’enseigne depuis 25 ans à Montréal, j’ai travaillé au primaire et au secondaire, mais surtout au collégial. J’ai vu Montréal changer, et aujourd’hui dans mes classes, les « de souche », si vous me permettez l’expression, sont largement minoritaires; plus de la moitié de mes étudiants, si ce n’est les deux tiers, sont issus de l’immigration, de première ou de deuxième génération. Et devinez quoi? Depuis quelques années, mes meilleurs en français s’appellent Zhang, Yip, Pavaluca, Sava, Tatar, Nguyen, Almeida, Diwan, Abdulsalam, Mohammed, de Almeida, Chen, Wang, Zimmer, Sideris, et je pourrais continuer la liste. Bien sûr, il y a aussi des Campeau, Bédard, François, Beauchamp, Béland, Fournier. Mais la situation a changé, et c’est une preuve que nous sommes capables de réussir des choses, que la loi 101 n’a pas été un échec, qu’il faut seulement la renforcer (et j’y reviendrai). À ce sujet, il faut éviter de céder à ce que j’appellerais la complaisance dans l’échec : nous sommes capables de réussir des choses, je le répète.

Je me souviens d’un jeune étudiant, Matthew Yip, d’origine cantonaise, qui me racontait son passage à Magog, où quelqu’un lui avait demandé : « Mais où as-tu appris à parler aussi bien le français? » « Mais… ici, avait-il répondu, je suis né ici! » Je ne veux pas juger la personne qui a posé la question, et qui était de bonne foi, se montrait curieuse – et la curiosité est humaine. Mais je constate qu’elle n’avait pas imaginé que c’était possible que ce jeune homme soit un Québécois comme elle, qu’il parle français comme elle. L’histoire de Matthew, brillant violoniste et aujourd’hui étudiant en médecine à l’Université de Montréal, m’a frappé. Je me rends compte qu’il faut s’habituer à ne plus demander d’où viennent tous ces gens qui parlent français, en tout cas à ne plus s’étonner qu’ils le parlent : ils viennent d’ici, ils sont avec nous, ils sont, je le répète, une partie de nous.

 

L’erreur à faire, actuellement, serait de pousser les immigrants, les fils et filles d’immigrants dans les bras d’Ottawa, en leur faisant sentir qu’ils ne sont pas assez comme nous, pas assez « nous ». Il peut être tentant de souligner ce qui ne fonctionne pas plutôt que ce qui marche, de voir des refus de s’intégrer là où il y a en fait une volonté. Je me souviens d’une discussion avec un voisin dans le quartier Villeray où j’habite, d’origine italienne, Joe – Giuseppe --, tireur de joints venu de Sicile, qui me racontait à quel point les Québécois se méfiaient des Italiens dans les années 1940 et 50 : on ne les voulait pas dans les écoles françaises alors qu’ils étaient catholiques, on ne les voulait pas dans les usines, on s’en méfiait. Si bien que les Italiens se sont retrouvés en majorité dans les écoles anglaises, ont appris l’anglais, qui est devenu dans bien des cas leur langue maternelle. Joe me disait : « Mathieu, si les Québécois avaient mieux accueilli les Italiens, le Québec serait déjà un pays! » Cette histoire me faisait mal à entendre, et je me disais ceci : il ne faut pas répéter l’erreur faite dans le passé. Aujourd’hui, nous accueillons des gens venus du Maghreb et d’Afrique, d’Haïti aussi, qui parlent un excellent français, et nous avons le devoir d’insister sur ce qui nous rassemble plutôt que sur ce qui nous sépare, le devoir de ne pas leur mettre des bâtons dans les roues inutilement. Parce que nous avons besoin d’eux, autant qu’ils ont besoin de nous. Nous avons besoin d’eux dans les écoles, les hôpitaux, les CHSLD, les commerces, les transports, partout.

 

À mes yeux, le combat pour la langue commune est le plus important, bien plus que les questions religieuses, qui au fond sont assez secondaires, même si je comprends l’inquiétude d’une génération qui a connu le joug catholique: la majorité des immigrants qui arrivent ici ne sont pas pratiquants, ou alors pratiquent assez peu, et se méfient de l’intégrisme, qu’ils ont parfois fui. Ce sont des gens très éduqués, qui connaissent la valeur des idées et des diplômes, il faut se le rappeler. Mais c’est vrai que la francisation demeure un défi, et que des années de régime libéral ont fait reculer le Québec en cette matière, parce que les réflexes sur le plan linguistique n’existaient plus. En arrivant au pouvoir, la CAQ a découvert un passif : le parti libéral se fichait de la langue comme d’une guigne. Et c’était un peu la même chose au début des années 1990, après un mandat et demi des libéraux de Bourassa : l’anglais ne s’était jamais aussi bien porté au Québec. Il faut donc redresser la barre, la CAQ fait déjà certaines choses utiles, mais elle multiplie aussi les mesures bureaucratiques, qui emmerdent les gens pour des broutilles. Tant qu’à déranger les gens, faisons preuve au moins de courage. C’est pourquoi je pense qu’il faut étendre l’application de la loi 101 au cégep, plutôt que de contingenter l’accès : le cégep fait partie intégrante du modèle québécois, c’est ce qui complète la formation des citoyens, les cours de philo et de littérature québécoise notamment, l’espèce de « service citoyen obligatoire », et la solution adoptée par la CAQ contribue seulement à rendre les cégeps anglos plus prestigieux, parce que ça devient des lieux où se retrouvent les meilleurs, une élite qui échappe à l’exigence commune. Ce n’est pas normal que la majorité des diplômes collégiaux préuniversitaires soient décernés en anglais en ce moment. Et ce n’est pas normal que le cégep Dawson, à Montréal, qui est le plus grand cégep au Québec, puisse exiger à l’admission une moyenne générale de 85% au secondaire, alors que les cégeps francophones les plus sélectifs acceptent des étudiants qui ont une moyenne générale de 70% ou 75%.

Avec la loi 96, la CAQ consacre l’existence d’un système à deux vitesses. Il faut travailler en amont, à une francisation intensive, en entreprise, là où les libéraux ont coupé, auprès des parents immigrants qui voulaient apprendre le français pour être en mesure d’aider leurs enfants à faire leurs devoirs. Parce qu’avant même de parler d’indépendance, le combat pour la langue commune est le vrai combat, celui qui accompagne toute lutte en faveur du Québec : sans une langue en commun, impossible de nous comprendre, y compris de comprendre que nous ne comprenons pas. La langue commune nous permet de savoir si nous sommes en accord ou en désaccord : elle est le degré zéro du lien politique et social.

 

Je veux aussi parler du Canada. On ne fait pas un pays « contre » un autre pays, ou « contre » des gens, on le fait « pour » quelque chose. Moi, je veux travailler à l’épanouissement du Québec, je veux contribuer au développement de toutes ses potentialités. Je n’ai pas de haine particulière envers le Canada, qui est un beau pays, avec des gens fort sympathiques et généralement polis. J’y ai vécu pendant une année durant ma jeunesse et une bonne partie de la famille du côté de ma conjointe y vit, en Ontario, en Alberta, au Nouveau-Brunswick. Mais je sais que pour y avoir vécu que le Canada est précisément un autre pays, que ce n'est pas mon pays, qu’entre le Québec et le Canada il y a la même différence qu’entre la France et l’Angleterre – sauf pour les voitures qui roulent du même côté --, que l’espace n’est pas organisé de la même manière, que la langue et les références sont différentes, que les mentalités et la vision des choses sont différentes, que l’histoire n’Est pas la même, que les intérêts, surtout, ne sont pas les mêmes. Et c’est très bien ainsi. En voulant faire du Québec un pays, je veux seulement que cette différence soit reconnue, « normalisée » si l’on veut. Pour moi, l’indépendance vise seulement à rétablir une sorte de normalité pour le Québec, parce que non, la situation actuelle n’est pas normale. Ce n’est pas normal que le Québec demeure encore à ce jour une province, même si cette réalité s’explique par l’histoire, ce n’est pas normal qu’il soit l’un des plus grands territoires au monde à demeurer sous la tutelle d’un autre – le Québec fait trois fois la France; ce n’est pas normal qu’il soit l’un des derniers de toutes les Amériques, du Nord au Sud, à ne pas avoir acquis son indépendance.

Autrement dit, ce n’est pas de la colère, ce n’est pas du ressentiment qui m’animent; je n’ai rien « contre » le Canada, et rien contre lui s’il veut continuer, par exemple, de vivre sous l’Autorité d’un monarque, le roi Charles. Je veux seulement que la différence incarnée par le Québec soit pleinement reconnue, et je n’ai pas de doute que le projet soit viable, à tous points de vue. Mais même une fois indépendant, le Québec continuera d’avoir le Canada et les États-Unis comme voisin, et je ne vois pas d’intérêt à nourrir la haine, parce que la haine engendre la haine.

 

Je sais que bien des Québécois hésitent, demeurent attachés au Canada, entre autres parce que ce sont aussi des Québécois qui ont fondé le Canada et lui ont donné ses symboles. Mon grand-père René, décédé en 2010 à l’âge vénérable de 98 ans, se voyait comme un Canadien français, et non comme un Québécois – les Québécois pour lui étaient des gens de Québec. Il me disait à propos du mot « Québécois » : « ah vous appelez ça de même, vous autres ». Il avait un drapeau du Canada dans son salon, parce qu’il considérait que c’était « son » pays, suivant la logique des deux peuples fondateurs d’Henri Bourassa. C’est sans doute pour cette raison que lors des deux référendums, la question d’une association partielle avec le Canada, d’une souveraineté-association, d’un mandat de négocier, a toujours fait partie de la solution. Et sans doute aussi pour cette raison que tant de gens ont hésité. Et je pense que ce n’était pas une erreur de tenter de trouver une solution de continuité dans la rupture, que c’était la chose à faire.

 

Que faire maintenant? Faut-il militer pour la tenue d’un troisième référendum de toute urgence? Je pense qu’il faut réfléchir à la manière de procéder : que veulent les Québécois? Aiment-ils le statu quo? Sont-ils d’accord avec la Constitution? Appuieraient-il un gouvernement qui militerait en faveur du rapatriement d’autres pouvoirs? Veulent-ils un troisième référendum? J’aimerais vous dire que j’ai les réponses. Mais je ne les ai pas. Avant de proposer une démarche, il faut échanger, se mettre à l’écoute, repartir de la base plutôt que du sommet. Le mouvement pour l’indépendance doit user d’imagination, doit surprendre, aller là où on ne l’attend pas, quitte à changer de stratégie ou changer de question, déployer toutes ses ressources pour faire avancer la cause du Québec. Tout doit être sur la table, parce que s’il y a un seul but, celui qui consiste à assurer la pérennité et le rayonnement de la société québécoise et sa pleine émancipation, sur tous les plans : politique, économique, culturel, peut-être y a-t-il plusieurs chemins.

 

Et puis, il me semble qu’on ne peut plus faire comme si nous étions seuls. J’ai parlé de notre rapport à l’immigration, je voudrais parler de notre relation avec les membres des Premières nations. Permettez-moi de revenir à François-Xavier Garneau, qui en 1840, écrivait un autre poème, « Le dernier Huron », où il chantait la disparition de tout un peuple. À l’époque, au Québec, c’était aussi l’avenir des autochtones qui était incertain, pas seulement celui des Québécois, et beaucoup d’œuvres littéraires, de tableaux aussi, dont celui de Plamondon, évoquaient cette peur. Il y avait une vraie inquiétude à propos des autochtones eux-mêmes, dont la langue allait disparaître avant de revenir (c’est le cas du huron-wendat), mais c’était aussi l’image, craignait-on à l’époque, de ce qui attendait les Québécois: la disparition. Or il me semble que nous avons le devoir, comme Garneau il y a deux siècles, de continuer de nous soucier du bien-être de nos frères et sœurs autochtones, de leur offrir un avenir, et d’assumer la part de responsabilité qui nous revient dans leur douloureuse histoire. Ce n’est pas seulement la faute du fédéral, c’est trop facile, et de toute façon il y avait des Québécois au fédéral, à l’époque comme aujourd’hui. Et puis, l’histoire de Joyce Echaquan s’Est produite ici. Des pensionnats autochtones, il y en a eu ici. Des pratiques discriminatoires aussi. Je lisais cette semaine que la cour du Québec vient d’autoriser un recours collectif pour des femmes atikamekhs qui ont été stérilisées sans leur consentement depuis les années 1980. On ne parle pas d’une affaire qui s’est produite au temps de Mathusalem, mais du passé récent, de notre histoire, ici même en Mauricie, où j’ai moi-même connu adolescent des atikamekhs, des gens fiers. Nous avons le devoir de faire la lumière sur tout cela, et je pense même que nous gagnerions beaucoup à proposer aux jeunes des écoles du Québec une introduction aux langues autochtones. Il n’y a rien de mieux que la solidarité avec les peuples fragiles pour reconnaître sa propre fragilité. Et si nous aimons la liberté, nous devons nous soucier de celle des autres.

 

J’aurais encore beaucoup de choses à dire. Mais je conclurai avec ceci : pour faire un pays, ça prend des individus forts, des femmes fortes, des hommes forts, capables de tout affronter, de confronter le meilleur comme le pire, et surtout : des femmes et des hommes capables de penser dans la liberté, en-dehors des sentiers battus; quand je pense à l’histoire du Québec, je me dis parfois que la seule souveraineté qui ait jamais triomphé est celle du groupe. Il y a eu des hommes forts, des femmes fortes, mais peut-être en faut-il encore plus, de ces gens prêts à sortir du rang, à être différents, à assumer leurs choix et leurs idées, capables de résister au consensus « mou » qui est celui du confort et de l’indifférence. Et je dirai ceci : l’indépendance ne se fera pas si le Québec ne compte sur un nombre suffisant de femmes et d’hommes indépendants, sur des femmes et des hommes pour qui la liberté est le bien le plus précieux. Pour devenir indépendants, il faut déjà l’être, d’une certaine manière. Je vous remercie d’aimer la liberté, et vous invite à la cultiver, en vous et autour de vous. Merci!

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